L’incroyable richesse nutritionnelle du soja fait son succès et sa réputation d’aliment santé, au point de devenir en moins de vingt ans, l’un des aliments les plus consommés au monde. Mais à force d’être présent partout, n’en abuse-t-on pas ?
Le soja (ou soya) est une légumineuse comme la fève, la lentille ou le haricot blanc. Mais on le consomme de façon différente, sous forme de « lait » (jus ou filtrat de soja), de yaourt ou de fromage (tofu). Pratiquement inconnues en Occident il y a cent ans, les préparations à base de grains de soja sont devenues incontournables en moins de vingt ans, répondant aux problèmes spécifiques des personnes soucieuses de leur santé, des végétariens et des intolérants au lactose. Ceux qui désirent diminuer leur consommation de matières grasses ou ceux qui rencontrent des problèmes de peau liés à une allergie alimentaire y trouvent aussi un grand intérêt. Il faut dire que les grains de cette plante grimpante possèdent une composition nutritionnelle unique dans le règne végétal. Mais sans transformation, à l’exception de l’edamamé (grains verts immatures), il est indigeste, contrairement aux autres légumineuses et à ses cousins le haricot mungo ou l’azuki. Le vrai soja est une source d’antioxydants stimulant du système immunitaire, il contient aussi des œstrogènes végétaux, des protéines et de bonnes matières grasses (acides gras poly-insaturés dont les oméga 3) dépourvues de cholestérol.
Riche mais imparfait
Les végétariens ont longtemps cru que le soja pouvait remplacer la viande. Cela est vrai du point de vue de sa teneur en protides (40 % en moyenne, soit presque autant que la viande) et aussi du fait qu’il comprend les huit acides aminés essentiels. Mais, malgré cette composition exemplaire, deux de ses acides aminés, la méthionine et la cystine, sont en trop faible quantité pour que ce cocktail soit totalement assimilable. Ce défaut n’autorise donc pas le soja à remplacer les protéines animales sans engendrer des carences protéiques. Il est également faux de croire que l’association dans un même repas de soja et de céréales qui recèlent généreusement ces deux acides aminés va permettre de combler ce déficit : les fibres de ces dernières rendent impossible la bonne assimilation des nutriments. La combinaison céréales et soja ne fonctionne donc pas.
Le soja contient également un grand nombre de toxines naturelles susceptibles de dérégler le métabolisme thyroïdien chez les personnes carencées en iode. L’acide phytique bloque l’assimilation du fer, du zinc, du cuivre, du magnésium et du calcium issus de l’ensemble des aliments ingérés. Toutefois cette substance nocive disparaît quand le soja est cuit, germé ou fermenté.
Par ailleurs, les intolérants au lait de vache ont vu dans le « lait » de soja (obtenu à partir d’un filtrat des graines réduites en purée, appelé tonyu au Japon) un prodigieux substitut. Si ce jus végétal est dépourvu de lactose, il est en revanche très riche en isoflavones, désignées comme phyto-œstrogènes et à l’origine de la polémique sur les vertus du soja.
Complexité des phyto-hormones
Les isoflavones, mais aussi la lécithine dont la teneur est également très élevée dans le soja, sont des composés végétaux antioxydants qui jouent un rôle comparable à celui des œstrogènes. Si leur rôle de régulateur physiologique peut être un atout pour corriger, chez certaines femmes, une insuffisance en œstrogène en période de ménopause – afin d’éviter, par exemple, les bouffées de chaleur –, pour d’autres il peut engendrer des actions ou réactions hormonales propices à induire, à stimuler, voire à multiplier les cellules cancéreuses ou à accélérer le mécanisme cancéreux.
Selon la forme que prend le soja (tofu, miso, lait…), la présence de ces isoflavones varie de quelques milligrammes à 50 mg par portion. Le lait et le yaourt seraient les plus riches en isoflavones tandis que le tofu (ou fromage de soja) en possède les plus petites quantités. Car, lors du processus de fabrication du tofu, les phyto-œstrogènes – qui sont associés aux protéines solubles – sont éliminés avec son petit lait.
Le problème est encore plus sensible avec les nombreux compléments alimentaires préparés à partir d’extraits de la graine et destinés aux femmes ménopausées. Selon les préparations, la dose représente de quelques milligrammes à presque 100 mg d’isoflavones par gélule. Un tel dosage doit être évité chez les femmes ménopausées n’ayant pas été confrontées au soja auparavant (cet aliment n’étant pas traditionnel dans notre cuisine), surtout si la personne présente des antécédents personnels ou familiaux de cancer du sein. Cette alerte sur le soja a permis de comprendre que cet aliment possède des principes actifs très puissants et une dualité d’effets. Selon le terrain, un mauvais équilibre hormonal sera amélioré ou au contraire amplifié. Pour Catherine Bennetau-Pelissero, une scientifique spécialiste de la nutrition-santé, il s’agit d’un « alicament qui relève de la prescription médicamenteuse pour une ou des indications avec une posologie adaptée réservée à certains moments de la vie ». Selon les études de cette scientifique, il apparaît que la consommation quotidienne d’un yaourt, d’une crème dessert et de céréales à base de soja, plus deux litres de lait de soja par semaine, peut se révéler excessif chez une femme aux menstruations douloureuses et irrégulières.
Car nous transposons maladroitement les habitudes culinaires asiatiques. Contrairement aux idées reçues, les Asiatiques ne consomment pas de manière massive et quotidienne le soja. Les traditions alimentaires sont très différentes.
Éviter les excès
Côté du Soleil levant, la prise alimentaire est raisonnée, sans excès, et le soja est présent sous forme trempée et pressée (tofu, miso) ou fermentée (tempeh, natto, shoyu, tamari). Sous ces formes, les isoflavones sont significativement éliminées. En Occident, ceux qui ont adopté le soja le consomment de façon excessive et essentiellement sous forme de lait et de yaourt. D’après les travaux de Catherine Bennetau-Pelissero, notre flore intestinale n’étant pas la même non plus que celle des Japonais, le soja a des conséquences différentes sur notre métabolisme. Pour adapter le soja à notre métabolisme, il doit être consommé ponctuellement et sous forme fermentée, ainsi il possède plus d’avantages que d’inconvénients. Réjouissons-nous, sous cette forme, de nombreuses préparations existent, aussi intéressantes gustativement que nutritionnellement.
À lire
- « Les délices de la cuisine au soja », d’Ulrike Skadow et Nicolas Leser. Éd. Minerva, 128 p., 19,90 €.
- « Soja santé », de Brigid Treloar. Éd. Guy Saint-Jean, 112 p., 14,90 €.
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